PRÉSENTATION


Entre 1914 et 1919, pour l’ensemble des pays en conflit, la Première Guerre Mondiale fit au total 18 600 000 morts, presque autant de civils que de militaires. En France, les pertes militaires s’élevèrent à 1 398 000 morts et 4 266 000 blessés. 300 000 civils ont aussi succombé. Même si ces chiffres donnent le vertige, ils ne rendent pas compte suffisamment du malheur apporté par cette guerre.


C’est par le témoignage au quotidien des combattants philbertins que nous vous proposons de revivre cette période noire. Dans certaines familles, ce sont le père et les fils qui se sont retrouvés dans les tranchées qui couraient de la Mer du Nord jusqu’au Rhin. Certains sont restés plusieurs années éloignés de leur famille, sans permission. Le seul lien qui demeuraient entre eux était le courrier. Dans leurs lettres, les poilus décrivaient leur vie sur le front, en cachant les dangers pour ne pas trop inquiéter leurs épouses ou leurs parents. La famille leur répondait en évoquant leurs craintes, et surtout en racontant leur vie quotidienne qui faisait oublier pendant quelques minutes les horreurs de la guerre.


C’est au travers de la lecture de quelques courriers que nous vous invitons à reculer d’un siècle pour partager la vie de quelques familles. Pour nous aider, rappelons-nous des airs chantés par les poilus.


La Madelon

Pour le repos, le plaisir du militaire,
Il est là-bas à deux pas de la forêt
Une maison aux murs tout couverts de lierre
« Aux Tourlourous » c'est le nom du cabaret.
La servante est jeune et gentille,
Légère comme un papillon.
Comme son vin son œil pétille,
Nous l'appelons la Madelon
Nous en rêvons la nuit, nous y pensons le jour,
Ce n'est que Madelon mais pour nous c'est l'amour

Refrain :
Quand Madelon vient nous servir à boire
Sous la tonnelle on frôle son jupon
Et chacun lui raconte une histoire
Une histoire à sa façon
La Madelon pour nous n'est pas sévère
Quand on lui prend la taille ou le menton
Elle rit, c'est tout le mal qu'elle sait faire
Madelon, Madelon, Madelon !

Nous avons tous au pays une payse
Qui nous attend et que l'on épousera
Mais elle est loin, bien trop loin pour qu'on lui dise
Ce qu'on fera quand la classe rentrera
En comptant les jours on soupire
Et quand le temps nous semble long
Tout ce qu'on ne peut pas lui dire
On va le dire à Madelon
On l'embrasse dans les coins. Elle dit « veux-tu finir… »
On s'figure que c'est l'autre, ça nous fait bien plaisir.

Refrain :

Un caporal en képi de fantaisie
S'en fut trouver Madelon un beau matin
Et, fou d'amour, lui dit qu'elle était jolie
Et qu'il venait pour lui demander sa main
La Madelon, pas bête, en somme,
Lui répondit en souriant :
Et pourquoi prendrais-je un seul homme
Quand j'aime tout un régiment ?
Tes amis vont venir. Tu n'auras pas ma main
J'en ai bien trop besoin pour leur verser du vin




Pierre Pichaud, natif et habitant de Saint-Philbert-de-Bouaine, écrivit une centaine de lettres à sa famille et à son épouse, à compter de sa mobilisation, le 12 août1914.


Âgé de trente-deux ans, il est marié depuis le 5 juin 1912 avec Anastasie Fresneau et est père d'une petite fille prénommée Marie. Il vit à la Garloupière, en communauté avec sa mère Émilie, son frère Clément, sa belle-sœur Marie, son neveu Clément, ses nièces Émilienne et Clémence. Ensemble, ils y exploitent une ferme.


La vie militaire, Pierre l'a découverte pendant son service militaire du 15 novembre 1903 au 20 septembre 1906, au 65ème Régiment d'Infanterie à Nantes. Pour les périodes d'exercices de 1909 et de 1912, il est affecté 93ème Régiment d'Infanterie de La Roche-sur-Yon.


Au moment de la mobilisation générale, il est donc appelé à La Roche-sur-Yon, le 12 août 1914.



Jeudi 12 novembre 1914


Chère Anastasie


Encore quelques lignes pour vous passer de mes nouvelles qui sont toujours à peu près les mêmes pour le moment. Je suis toujours en bonne santé et je désire que cette lettre vous trouve aussi tous en bonne santé.

Depuis trois semaines que je suis parti de La Roche sur Yon , je n’ai eu aucune nouvelle. Les lettres se mettent du temps à venir.

Nous ici, le métier est toujours le même depuis que je suis arrivé. On est toujours dans nos mêmes tranchées, les balles alboches passent par-dessus de temps en temps, et il y a pas de risque dans les tranchées qui sont de notre hauteur. Il n’y a pas eu de blessés depuis que je suis arrivé ici dans notre compagnie. Jusqu’ici le temps n’a pas été mauvais. On a pas encore souffert beaucoup pour le froid. Quand on n’est pas à surveiller, on se met à l'abri dans nos maisons que l'on a faites dans la terre avec de la paille un peu dedans. On a pas froid la nuit. Il y en a la moitié à surveiller et la moitié à se reposer, on se change chacun son tour.

Je finis en vous embrassant tous de tout mon cœur.

Pierre Pichaud


Après cinq mois de guerre, Pierre Pichaud espère une victoire prochaine de la France.


Jeudi 14 janvier 1915


Chère Anastasie


Je t’écris ces quelques lignes pour te faire savoir de mes nouvelles qui sont à peu près toujours les mêmes.

Tu me parles des bêtes et que tu voudrais bien que nous soyons rendus. Pour vendre les bœufs, on sera peut-être rendu. Cela va pas si vite.

On est bien fatigué d'être ici, mais je crois que les boches en sont encore plus fatigués que nous. Depuis quelques jours, il y en a qui désertent de chez eux pour venir chez nous. Cette nuit dernière, il y en a une dizaine qui sont rentrés dans nos lignes et ils disent qu'ils sont malheureux. Il y a un mois qu'ils sont toujours en première ligne et ils ont à manger qu'une fois par jour. Ils disent qu'avant trois mois, ça sera la famine chez eux. Donc il faut espérer que ça se terminera peut-être plus tôt qu'on pense...

Où que nous sommes, il n'y a pas grand risque qu'ils nous attaquent. Ils ont plutôt peur d'être attaqués. Toutes les nuits, ils lancent des projecteurs pour s'éclairer, pour voir si on ne les attaque pas.

Espérons que ça se terminera bientôt.

Je finis en vous embrassant tous de tout mon cœur.

Pierre Pichaud


Le temps passant, Pierre Pichaud est de plus en plus pessimiste, témoin de trop d’erreurs de l’état-major.


Jeudi 17 juin 1915


Chère Anastasie


En ce qui concerne notre métier, il est bien triste depuis quelques jours. Je ne sais plus ce qu'en penser depuis qu'on est arrivé du côté d'Hébuterne, là où a eu lieu l'attaque, il y a quelques jours. Nous avons peut-être gagné du terrain, de quoi enterrer les morts qu'il y a eu depuis huit jours. Nous passons des nuits entières à creuser des fosses pour enterrer les morts.

Et de voir que ç'a pas l'air à se terminer du tout pour cela. Je crois qu'ils arrêteront la guerre quand il y aura que très peu d'hommes de reste. Ceux qui auront le bonheur d'être blessés pas trop grièvement seront les mieux, juste pour se faire évacuer. Notre régiment n'a pas pris part à l'attaque, il était en 3ème ligne, mais il y a eu quelques morts par les obus, mais il y a pas de grandes pertes dans notre régiment.

Je me demande ce que vous pouvez faire aujourd’hui avec tout le travail que vous devez avoir. Enfin, peut-être que ça se terminera quand même à un tour. Que nous retournerons tous bientôt et que le bonheur pourra revenir parmi nous. Il faut espérer qu’avec la grâce de Dieu, ça viendra bientôt.

Nos alliés nous sauveront peut-être. S'il n'y a que la France pour se tirer d'affaire, elle ne s’en tirera jamais. Depuis dix mois que nous sommes là pour avancer de 100 mètres, et de voir les journaux qui disent tous les jours qu'ils veulent les sortir de France. Nous y arriverons mais il y a trop de trahison. Les officiers voudraient bien que les hommes iraient en avant, mais eux autres voudraient rester en arrière. Donc, ça ne peut pas marcher du tout. Aucune attaque ne réussit par leurs fautes. Ce n'est pas la peine de publier ma lettre, mais ça va bien mal pour nous. C'a besoin de changer.

Je termine en vous embrassant tous de tout mon cœur.

Pierre Pichaud


Puis Pierre Pichaud a été envoyé en Champagne où les généraux Joffre et Castelneau préparent une offensive sur 25 km de long.


Vendredi 24 septembre 1915


Chère Anastasie


Deux mots seulement pour te dire que je suis en bonne santé et je désire que cette lettre vous trouve aussi tous en bonne santé.

A présent, il faudra pas vous étonner si vous êtes longtemps sans recevoir de mes nouvelles. Il faudra que vous en soyez pas surprises parce que, demain matin, à 5 heures, nous faisons l'attaque. Il faut que nous prenions la 3ème tranchée boche et que nous apportions des vivres pour 2 jours. Si nous réussissons, nous pourrons pas retourner ni être approvisionnés avant qu'il y ait des boyaux de communication de faits. Il pourrait se faire que nous pourrions pas envoyer nos lettres si vite. Voilà 2 jours que le bombardement est commencé et il doit continuer jusqu'à demain matin. Ensuite, nous irons voir si il y a encore des boches dans leurs tranchées. Tant mieux si leurs mitrailleurs sont écrasés par notre artillerie.

Espérons que tout ira bien et que nous aurons le bonheur de nous revoir bientôt. Je termine en vous embrassant tous de tout mon cœur. 

Pierre Pichaud


Le général Joffre adresse ce mot d’ordre à ses troupes  : “  Vous devez y aller à plein cœur pour la délivrance de la Patrie et pour le triomphe de la Liberté. Votre élan sera irrésistible, il vous portera d’un premier effort jusqu’aux batteries de l’adversaire, au-delà des lignes fortifiées qu’il vous oppose. Vous ne lui laisserez ni trêve, ni repos, jusqu’à l’achèvement de la victoire.  “


Le 25 septembre à 9h15, les fantassins français s’élancent à l’assaut des tranchées et fortifications allemandes. Dans leur élan, les Français rejettent d’abord les Allemands vers le nord mais viennent butter sur les fortifications de la Ferme de Navarin qui sont restées intactes. Les 26 et 27 septembre, aucun résultat escompté n’est obtenu. Joffre doit ordonner l’arrêt de l’offensive. 140 000 soldats Français, Africains et Marocains sont tombés (tués, blessés et disparus) en près de dix jours de combats. Parmi les disparus se trouve Pierre Pichaud qui fut déclaré mort le 26 septembre 1915 à Ville sur Tourbe (Marne).


La Marseillaise


Allons enfants de la Patrie
Le jour de gloire est arrivé !
Contre nous de la tyrannie
L'étendard sanglant est levé
Entendez-vous dans nos campagnes
Mugir ces féroces soldats?
Ils viennent jusque dans vos bras.
Égorger vos fils, vos compagnes!

Aux armes citoyens
Formez vos bataillons
Marchons, marchons
Qu'un sang impur
Abreuve nos sillons

Que veut cette horde d'esclaves
De traîtres, de rois conjurés?
Pour qui ces ignobles entraves
Ces fers dès longtemps préparés?
Français, pour nous, ah! quel outrage
Quels transports il doit exciter?
C'est nous qu'on ose méditer
De rendre à l'antique esclavage!

Aux armes citoyens
Formez vos bataillons
Marchons, marchons
Qu'un sang impur
Abreuve nos sillons


Aristide Dugast appartenait à la classe 1916. A dix-neuf ans, il est appelé pour le service militaire, c’est-à-dire quelques mois de formation avant l’envoi à la guerre. Il est incorporé le 8 avril 1915 au 137ème Régiment d’Infanterie de Fontenay-le-Comte. Son père Armand, âgé de 45 ans, est déjà mobilisé dans l’armée territoriale.

Prévenant, il envoie un courrier à son fils pour lui donner la conduite à tenir.


La Chaume, le 13 avril 1915


Mon cher fils


J’ai reçu ta lettre aujourd’hui qui m’a fait grand plaisir car je suis content de savoir qu’il ne t’est rien arrivé en te rendant à ton régiment.

Tu es habillé. Surtout, c’est le principal d’être bien chaussé. Pour moi, je suis bien chaussé mais mal couché. Jusque là, je n’avais qu’une paillasse et une couverture. Aujourd’hui, j’en ai trouvé une autre.

Tu me dis que tu manques de vivres. Avec de l’argent, tu pourras te procurer quelque chose qui vaudra mieux que de mettre ton argent à boire de trop, chose qu’il ne faut pas là-bas. Tu dois le savoir. Moi, pour le vivre, j’en ai plus qu’il me faut, je mange pas beaucoup.

J’avais deux côtes cassées qui m’ont fait mal longtemps. Et aujourd’hui encore. J’en ai une qui est presque guérie, mais l’autre me gêne encore. J’ai enrhumé comme il y a longtemps que je l’avais été.


Pour les conseils que je t’avais donnés, suis-les, n’écoute pas les camarades et les femmes. Si tu te trouvais à y aller, c’est pour toi. Je ne te le dirai pas d’autres fois…

Cher fils, les jours sont plus longs que chez nous. Je suis tous les jours dans les dunes, au bord de la mer. Et il fait très froid dans le sable jusque que par-dessus les souliers, ce qui est fatigant. Dimanche, j’ai été à la mer chercher mon plein képi de berniques qui étaient fort belles, que j’ai mangées au soir. Pogu de la Trinctière a été chez lui, il m’a apporté une petite fiole d’eau-de-vie que j’ai trouvé bonne. Tu m’écriras de temps en temps, ça désennuie de recevoir quelques lettres. J’irai chez nous le plus tôt que je pourrai.

Ton papa qui t’embrasse de grand cœur, loin maintenant les uns des autres.

Armand Dugast


Les jeunes filles du voisinage d’Aristide lui envoyaient des cartes postales avec des images romantiques ou patriotiques. Si l’entrée en matière était assez distante «  Monsieur  », le contenu était plus familier. Une des spécialités d’Aristide était d’écrire des messages chiffrés que la destinataire devait décoder.


Le 22 avril 1915


Monsieur


J’ai reçu tes deux cartes ainsi que ta petite fleur. Car ça ne vient pas dans le pays. Je crois qu’il y a de belles fleurs à Fontenay.

J’ai reçu une des cartes, dimanche. Et comme je ne savais pas ce que faire, j’ai eu de quoi à m’amuser à chercher ces chiffres, surtout une si belle phrase. Et je serai bien heureuse de savoir ce que ça signifie. Enfin ça désennuie de deviner.

Je te dirai aussi que nous avons pas pleuré avec Arthur et Victorine. Mais il faut espérer que nous pourrons rire tous ensemble un de ces jours.

Nous sommes tous en bonne santé, sois aussi.

Nous te souhaitons tous le bonjour.


Ta voisine Marie


Au début de son incorporation, Aristide reçut une lettre d’un oncle paternel, lui aussi mobilisé dans l’armée territoriale. Il était affecté dans une usine fabriquant des obus. Dans son message, il décrit les difficultés de son travail et se montre optimiste quant à l’issue de la guerre.


Clermont-Ferrand, 7 mai 1915


Cher neveu


Je puis te dire que je suis toujours dans mon vieux pays d’Auvergne, avec les auvergnats et cantalous. Quand ils causent, c’est très pratique. L’on a pas besoin de répondre, l’on n’y comprend absolument rien du tout. Mais, que veux-tu ? Il vaut encore mieux rester à travailler au parc des Gravanches après les obus de 75, malgré que la poussière est très mauvaise pour la santé. Il y en a beaucoup qui ne peuvent plus attendre au travail. Malgré tout cela, on est encore mieux que sur le front et à coucher dans les trous à renard.


Cher neveu, je puis te dire que je travaille continuellement à la peinture mécanique des obus de 75. Tu me dis que je dois me trouver heureux de n’aller point voir les boches. Mais je ne me désespère jamais. Il y en aura peut-êtrer bien de reste pour nous. Cela n’est point plus gai, mais s’il faut aller les voir, on ira.

Pour toi, tu as dû trouver le métier [militaire] un peu dur car tu n’en avais point l’habitude. Mais il ne faut pas te faire d’ennui…


Je termine ma lettre car je m’en vais reprendre le travail à 11 heures du matin jusqu’à minuit.

Ton oncle qui t’embrasse de loin et qui te souhaite une bonne santé.

Placide Dugast


Le 8 décembre 1915, Aristide est envoyé sur le front avec le 93ème Régiment d’Infanterie de La Roche sur Yon. Voici une de ses lettres adressée à sa mère Clémence après trois mois de tranchées.


Mercredi 31 mars 1916


Chère maman


Aujourd’hui, nous avons un temps superbe. Je vous dirai aussi qu’hier, nous avons été bombardé par les boches. Ils nous ont lancé pas mal d’obus mais, je vous assure, qu’ils n’éclatent pas tous. On en a compté 24 qui n’ont pas éclaté. Vous pensez qu’on se serrait à l’abri, et tout cela dans l’espace d’une heure. Enfin, voilà déjà deux renforts d’arrivés au 411ème depuis que nous sommes arrivés. Il y a Douillard du bourg de Saint-Sulpice que j’ai vu. Je n’ai pas encore vu Jean Tenaud aujourd’hui. Nous avons vu une hirondelle, c’est la première cette année.


Je vous assure que quand les avions boches viennent nous faire une visite, ils y reçoivent quelque chose comme obus. Les boches ne bombardent pas nos avions aussi violemment. Enfin je vous dirai que nous montons en tranchée ce soir.

J’avais moitié envie d’envoyer la bague, mais je veux attendre d’avoir une lettre.

Je termine pour le moment aujourd’hui, rien de plus à vous raconter.

Votre fils qui vous embrasse tous de loin.

Aristide


P.S. Ce qu’il y a, c’est que je ne vois jamais de nouvelles de papa.


Depuis le mois de mai 1916, Aristide participait à la bataille de Verdun. Malgré son travail de grenadier, il eut la chance d’échapper à la mort pendant ces nombreux combats meurtriers. Mais le soir du 8 mars1917, il fut tué par une grenade près du fort de Douaumont.


La famille Cormerais a conservé une partie de la correspondance échangée avec les deux frères, Charles et Ferdinand, qui ont été mobilisés pendant la Première Guerre Mondiale.


Charles, né à Bouaine en 1873, avait émigré à Nantes où il était employé de commerce. A 41 ans, il était affecté chez les territoriaux, avec le grade de sergent. Cela lui valut d'être appelé dès le 3 août 1914.

Ferdinand était un peu plus jeune. Il avait effectué ses trois années de service militaire entre 1900 et 1903. Atteint d'emphysème pulmonaire, il avait été réformé en 1908. Mais le conseil de révision de 1914 le reconnut bon pour le service armé. Il fut affecté au 1er Régiment d'Artillerie Coloniale à Lorient qu'il rejoignit le 19 mars 1915 avant d'être envoyé sur le front, le 3 janvier 1916.

Fernand avait 8 ans quand son père Ferdinand partit à la guerre.


Toute la correspondance conservée a été rédigée sur des cartes postales, ce qui donnait un attrait supérieur au courrier, mais limitait la longueur du texte.



Mardi 23 mars 1915, de Charles à Marie, l'épouse de Ferdinand


J'ai reçu hier la lettre où Ferdinand m'annonce son départ pour Lorient. C'est une déception car je me figurais qu'il serait appelé à Nantes. Il ne lui sera sans doute pas très facile d'aller à Bouaine, mais je suppose qu'il aura un emploi au corps et c'est là l'essentiel. La tranquillité pour toi sera plus complète s'il n'est pas exposé.


Pour nous, c'est toujours la même existence. Il fait aujourd'hui un temps superbe. Je ne sais si c'est cela qui dispose l'artillerie au tir mais, depuis ce matin, c'est un vrai duel entre nos canons et ceux des boches. Je suis à écrire dehors et, à chaque instant, il me passe des obus au-dessus de la tête. Notre artillerie est en arrière de nous. Les Boches cherchent à les atteindre mais ils sont trop maladroits. Quand donc cessera cette musique ?


Bonjour à la famille.

Sergent-major Charles Cormerais, 81ème Régiment territorial d’Infanterie, 8ème compagnie, secteur 119

La carte suivante fut rédigée par Ferdinand à l’intention de son fils Fernand.


2 novembre 1917


Mon petit Fernand


Je te remercie de ta lettre de jeudi. Je pense que tu continueras de m'écrire tous les jeudis comme tu me l'as promis, et même plus souvent si possible.

Je te pense toujours bien aimable et obéissant, et surtout courageux pour faire les devoirs d'école.

Ton petit papa qui t'embrasse bien fort. Ferdinand.


Au lendemain de Noël 1917, Ferdinand envoie un mot à son épouse Marie.


26 décembre 1917


Ma petite Marie


Ce soir, qu'un mot. Je commence d'abord par t'offrir mes vœux du nouvel an. Cette année encore, je n'ai pas le bonheur de te les offrir de vive voix. Puisse cette nouvelle année nous apporter la fin de la guerre.

Nous sommes en alerte depuis ce matin. Nous sommes prêts à partir. Aussi j'ai eu du travail toute la journée. Mais nous ne savons pas encore l'heure du départ, ni où nous allons. Et pourtant ce n'est pas le rêve de voyager par ces temps froids et il tombe toujours de la neige.

Pour toi, toutes mes amitiés.

Ferdinand.


Ferdinand bénéficia de quelques permissions. A l’une de ces occasions, son copain artilleur Hector lui écrivit un mot pour l’informer des changements.


Ce jour, 31 janvier 1918


Mon cher Ferdinand


Nous sommes arrivés dans un camp près de St-Dizier... Nous avons les nouvelles pièces, des 145 de marine... Je crois, d'après ce que l'on dit, qu'il va y avoir encore un remaniement dans le groupe. Je ne puis t'en dire davantage car ce n'est que des bruits qui courent. Tout va bien jusqu'ici. C'est à peu près comme Le Tremblay, mais moins joli et moins amusant. C'est l'esclavage complet.

Adieu et au revoir bientôt.

Ton collègue Hector du 89ème d'artillerie, 10ème batterie, 4ème groupe, secteur n° 20.


Après l’armistice du 11 novembre 1918, les effectifs furent maintenus encore plusieurs mois. Le danger était passé mais les hommes demeuraient sous les drapeaux. Ferdinand commença l’année 1919 encore loin de chez lui.


Saint Philbert de Bouaine le 30 décembre 1918


Mon petit papa


Avant de partir, je ne t'ai pas souhaité la bonne année. Eh bien je te la souhaite maintenant. Je vais écrire à tous mes parents pour la leur souhaiter aussi. J'espère que cette année te ramènera parmi nous.

Aujourd'hui il est arrivé le père à Émile Hégron de la Garloupière. Il est libéré, il était de la classe 1894. Avec trois enfants, il marche avec la classe 1891. Quelle joie pour tous quand tout le monde sera libéré. Mais seulement il y en a qui sont morts.

Allons, je te souhaite une bonne année, bon courage et bonne santé de nous deux.

Fernand.



Depuis novembre 1912, Auguste Mandin accomplissait son service militaire au 64ème Régiment d’Infanterie d’Ancenis. C’est là qu’il reçut l’ordre de mobilisation générale, le 1er août 1914. Mais Auguste ne croit pas à la guerre, juste à une gesticulation des gouvernements allemand et français.




Ancenis, le 1er août 1914


Chers parents, chère sœur

Quand vous recevrez les quelques lignes que je vous adresse, vous serez aussi bien que moi au courant de la situation. La mobilisation générale décrétée, la guerre est sur le point de surgir.

Rien n’est encore décidé, nous avons même au régiment très bon espoir que la crise se dénouera sans verser de sang.

Je serais heureux en ce moment d’être auprès de vous pour vous consoler car, certainement, vous devez vous faire beaucoup de peine.

Rassurez-vous, si la France fait en ce moment appel à tous ses enfants, ce n’est qu’une mesure de précaution.

Chère petite sœur, ne te fais pas de peine, je compte sur toi pour rassurer papa et maman, embrasse-les pour moi.

J’ai plein d’espoir que nous nous reverrons bientôt, lorsque la tourmente se sera apaisée et que nous reprendrons dans le calme notre travail un instant suspendu.

En attendant d’avoir le bonheur de vous revoir, je vous embrasse tous et de tout mon cœur.

Auguste Mandin


Le 3 août 1914, l’Allemagne envahit la Belgique et déclare la guerre à la France. Tout bascule pour Auguste.


Ancenis, le 4 août 1914


Chers parents, chère sœur

Nous partons demain pour Rennes. A présent, puisque le forfait est accompli, puisque c’est la guerre, il ne me reste plus d’espoir. Je sais que je ne reviendrai plus.

Ma santé est bonne. Je ne me fais pas de peine pour moi. C’est seulement pour vous qui avez déjà tant pleuré.

Je m’en vais au martyre avec une haine profonde pour ceux qui ont lancé tant de milliers d’hommes dans la chose la plus atroce qu’il y ait au monde.

Je serais heureux de vous revoir, de revivre avec vous. Puisque désormais cela me paraît bien impossible, puisque je ne vous reverrai plus, je vous embrasse de tout mon cœur.

Adieu vous tous que j’ai tant aimés.

Auguste Mandin


Sur la route vers les combats, Auguste Mandin reste très pessimiste.


Le 8 août 1914


Chers parents, chère sœur

A l’heure où je vous écris, je suis en très bonne santé. Je ne peux vous donner aucun renseignement sur l’endroit où je suis. Le régiment est encore loin des lignes ennemies.

Je vous envoie avec cette petite et trop courte missive quelques petites fleurs ce sera peut-être les dernières que je pourrai vous envoyer.

Je vous embrasse de tout mon cœur .

Adieu mes chers parents, ma chère petite sœur. Soyez assurés qu’en mourant, ma dernière pensée sera pour vous.

A.Mandin


Le 17 mars 1917, Auguste est grièvement blessé. Il ne retournera plus au combat. Bravant la censure, il n’hésite pas à faire état des rébellions contre cette guerre qui gaspille les vies humaines dans une lettre à un copain.


Mercredi 13 juin 1917


Cher copain


Je m’empresse de faire réponse à ta carte que je viens de recevoir avec un réel plaisir de savoir que tu te portes comme moi toujours bien.

Tu me demandes quelles sont ces nouvelles que je te laissais deviner et que, je suppose, parfois peuvent entraîner bientôt la fin de la guerre.

Tu as sûrement dû t’en douter. Beaucoup de régiments d’infanterie qui se trouvaient dans ma région ont le moral à un tel degré qu’ils ont fait le chambard, refusé de monter en lignes, tiré sur des officiers et sur des sections d’autobus qui venaient les chercher pour remonter en ligne. Si bien que nous avons été alertés en pleine nuit pour cerner les patelins qu’ils occupaient, ou du moins pour faire les flics.

Le tout s’est passé sans d’autres incidents. Je t’assure qu’on aurait eu beau nous commander de tirer dessus que nous ne l’aurions pas fait. Les premiers qui ont commencé étaient deux régiments normands, ensuite les chasseurs à pied, et d’autres régiments de réserve de l’Est.

Je ne sais quand ou comment la guerre finira. Mais toutes ces choses là que je te raconte en pure vérité, sans exagérer du tout, nous maintient que si la guerre ne finit pas bientôt, surtout avant l’hiver, nous verrons du propre. Je ne crois pas que ces choses là s’apaiseront, au contraire.

On finit par se fatiguer des belles promesses pas tenues et des journaux trompeurs, et ces souffrances que nous endurons depuis si longtemps.

Que l’espoir de voir ce grand jour de délivrance ou de sortie de l’esclavage nous arrivent bientôt.

Et ensuite trinquer ensemble au vieux pays natal.

Je te quitte en te serrant cordialement la main.

Ton copain

A.


Après être passé par plusieurs hôpitaux du territoire français, Auguste Mandin conserve des séquelles des blessures à son bras gauche qui limitent les mouvements de son poignet et de son avant-bras. Il est devenu inapte à combattre et va être réformé. Mais que pourra-t-il faire dans le civil avec ce lourd handicap ?


Rennes le 2 décembre 1917


Chers parents Chère filleule


Depuis mon arrivé ici, tout ce passe assez bien. Mon appareil est prêt et j’espère le toucher et le signer demain, de sorte que je pourrai passer au centre de réforme cette semaine, à condition que mon dossier soit complet, ce que je pense d’ailleurs, car s’il ne l’était pas, j’aurais déjà été appelé pour fournir des renseignements.

J’espère de cette façon être réformé pour la Noël ou le 17 janvier.

Quand vous m’écrirez dites-moi si vous acceptez que je retourne chez vous pour y travailler malgré que j’aurai beaucoup de difficultés pour travailler la terre. Ce serait bien mon goût.

Je vous embrasse tous de tous mon cœur.

A.Mandin


Effectivement, il fut admis à la réforme par la Commission de réforme de Rennes du 29 décembre 1917 pour abolition presque complète de la torsion de l'avant-bras gauche, pseudarthrose lâche du tiers inférieur du radius, limitation des mouvements du poignet et du pouce.,